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TECHNOLOGIE DU FUTURE
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20 mai 2016

CRISPR/Cas9 : la révolution de la chirurgie du gène

A l’occasion du prix "For Woman In Science" décerné cette semaine par la fondation L’Oréal à Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, les co-découvreuses du potentiel de CRISPR/Cas9, retrouvez notre article sur cet outil révolutionnaire de modification des gènes.

Vue d'artiste de la technique de modification génétique Crispr. ©Stephen Dixon/Fen ZhangVue d'artiste de la technique de modification génétique Crispr. ©Stephen Dixon/Fen Zhang

De mémoire de biologiste, on n’avait encore jamais vu ça ! Généralement, entre le moment où un phénomène biologique est élucidé et son application pratique, quelques années, voire décennies, s’écoulent. Le temps que la technique soit améliorée, qu’elle puisse démontrer son efficacité sur une kyrielle d’espèces vivantes avant d’espérer pouvoir être adaptée sans risques à l’être humain. Mais, découvert en 2013, un nouvel outil de modification génétique déferle sur les paillasses des laboratoires du monde entier.

Le « couteau suisse » que les généticiens attendaient 

Véritable tsunami biotechnologique, les CRISPR (Clustered regularly interspaced short palindromic regions) sont le « couteau suisse » de la génétique que tous les chercheurs appelaient de leurs voeux. Puissante, facile à mettre en oeuvre, peu onéreuse, cette technique permet de supprimer, modifier ou ajouter des gènes à la demande, et de concevoir ainsi des organismes mutants pratiquement à la chaîne. Bien plus, pronostiquent les chercheurs, cela permettra de guérir des maladies humaines. Car si la thérapie génique existe depuis trente ans, les applications en médecine humaine sont restées très limitées depuis un premier essai réalisé en 1990 aux États-Unis sur une fillette souffrant d’un déficit immunitaire. Peu précise, complexe et très coûteuse, jamais la thérapie génique, telle qu’elle a été conçue et pratiquée jusqu’à présent, n’a véritablement fait ses preuves. Le potentiel des CRISPR a été exposé pour la première fois dans un article de la revue américaine Science en 2012. L’un de ses auteurs, la Française Emmanuelle Charpentier, du Centre Helmholtz de recherche sur les infections de Brunswick (Allemagne), se souvient : « J’avais le pressentiment que l’outil que nous proposions dans cet article pouvait devenir important. Mais pas à ce point ! J’ai été totalement surprise par son succès, et notamment par le fait que le système fonctionne sur toutes les espèces vivantes. » Depuis, l’engouement n’a pas cessé de monter en puissance, enflammant une communauté peu habituée à une telle effervescence et à une telle dynamique dans l’acquisition des connaissances.

©Betty Lafon/Sciences et Avenir

Des séquences qui tiennent lieu de vaccin aux bactéries

Mis au jour en 1987 sur la bactérie Escherichia coli par Yoshizumi Ishino et son équipe de l’université d’Osaka (Japon), les CRISPR ne suscitent au début qu’un intérêt poli. À quoi peuvent donc servir ces nombreuses séquences répétées le long du génome de la bactérie et ne codant apparemment pour aucun gène ? La question reste sans réponse et n’intéresse pas grand monde des années durant, alors même que le séquençage massif d’autres organismes bactériens révèle la présence de séquences charabia analogues.

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Ces séquences, baptisées CRISPR en 2002, sont également retrouvées en très grand nombre chez les archées, des micro-organismes à mi-chemin entre les bactéries et les cellules eucaryotes constituant notamment les animaux et les plantes. Ce n’est qu’en 2007 que le mystère se dissipe enfin: ces séquences répétées constitueraient rien de moins qu’un système immunitaire ancestral.

Infectées par un virus, bactéries et archées incorporent dans leur génome un petit bout d’ADN viral. Ces séquences leur tiennent lieu de vaccin. Lors d’une nouvelle infection, les CRISPR dûment collectés serviront à guider une enzyme-scalpel spécifique, la Cas.9 (voir le schéma ci-dessus), vers le virus afin de découper son ADN en petits morceaux et le réduire ainsi à néant. Avec l’élucidation du rôle des CRISPR, ces micro-organismes apportaient sur un plateau d’argent le Graal des généticiens : pouvoir modifier précisément un organisme ou des cellules à la demande pour étudier les effets de telle ou telle mutation.

Une lignée mutante obtenue en un mois seulement 

« Avant les CRISPR, obtenir un animal dont un ou plusieurs gènes avait muté était aussi laborieux qu’aléatoire, explique Nicolas Gompel, de l’université Ludwig-Maximilians de Munich (Allemagne). D’abord, il fallait provoquer des cassures au  hasard dans le génome en exposant l’animal à des rayons X ou à des agents chimiques mutagènes. Puis, il fallait ensuite chercher parmi tous les animaux exposés si nous avions obtenu les mutants désirés. Un processus lent, fastidieux avec peu de contrôle sur la région du gène visée. » Bref, les expériences de mutation s’apparentaient à chasser un moustique au bazooka, sans garantie aucune de toucher sa cible… Il fallait environ deux mois pour obtenir une lignée mutante stable chez la mouche et un an chez la souris.

Depuis moins d’un an, tout a changé. « Il me suffit de deux heures pour déterminer la séquence CRISPR contre le gène que je veux cibler, détaille Nicolas Gompel. Ensuite, je passe commande sur Internet à des entreprises spécialisées dans la confection de brins d’ADN des séquences CRISPR correspondantes. Après réception, nous les injectons dans les mouches que nous étudions. En un mois, nous obtenons nos mutants et, c’est le plus important, exactement ceux que nous désirions. »

Plus généralement, d’un point de vue fondamental, les CRISPR vont permettre d’élargir énormément le champ des connaissances. « J’étudie pour ma part la Drosophilia melanogaster, animal fétiche des laboratoires, poursuit le chercheur. Mais jusqu’à présent, il m’était impossible de la comparer avec une autre espèce du genre Drosophilia, car toutes les connaissances accumulées, de manière quasi empirique, sur melanogaster depuis un siècle de recherches génétiques n’existaient que pour cette mouche et cette mouche seule. Aujourd’hui, grâce aux CRISPR, cette limitation s’estompe. Nul besoin désormais de se cantonner aux espèces modèles. Je peux prendre n’importe quel individu de n’importe quelle espèce pour lui appliquer la mutation que je veux. »

Les maladies du foie et du sang seront les premières ciblées 

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Les applications thérapeutiques potentielles des CRISPR occupent tous les esprits et font tourner bien des têtes, y compris celles des chercheurs fondamentaux. Devant la révolution en marche, tout le monde est sur les rangs. Emmanuelle Charpentier vient de cofonder une entreprise, CRISPR Therapeutics, tandis que Jennifer Doudna, coauteure avec Emmanuelle Charpentier du papier fondateur de 2012, vient de faire de même avec Editas Medicine, qui ambitionne également de pouvoir guérir certaines maladies pour lesquelles il n’existe aujourd’hui pas ou peu de traitements. « Les premières maladies génétiques humaines ciblées par les CRISPR seront à chercher du côté du sang et du foie, parce que ce sont un tissu et un organe faciles à atteindre et constitués d’un nombre limité de types cellulaires », pronostique Ignacio Aregon, directeur du Centre pour la recherche en transplantation et immunointervention de l’université de Nantes-Inserm. Le chercheur manifeste également son enthousiasme pour les applications des CRISPR dans le domaine des greffes. À l’heure actuelle, les greffes de rein sont compliquées par la présence très  fréquente de cytomégalovirus. « Grâce à cet outil extraordinaire que sont les CRISPR, il deviendra bientôt possible d’éliminer ces virus dans les greffons. »

Voilà un demi-siècle, depuis la découverte de la structure de l’ADN, que la recherche attendait un tel outil. « Le potentiel des CRISPR suscite une excitation très importante dans la communauté, se réjouit Nicolas Gompel. C’est un outil si simple et si puissant qu’il permet de prendre en considération des projets de recherche qui étaient jusqu’à présent de l’ordre du fantasme, faute de disposer de la technologie adéquate. » Les années 2000 ont été celles du séquençage. La décennie suivante sera celle de la chirurgie génétique.

http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20160322.OBS6881/crispr-cas9-la-revolution-de-la-chirurgie-du-gene.html

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