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TECHNOLOGIE DU FUTURE
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2 janvier 2013

Jacques Attali : « les produits que nous consommerons dans 10 ans n’ont pas encore été inventés »

Quelles sont les pistes pour sortir l’Europe et particulièrement l’Europe du Sud de la crise ?

Jacques Attali : D’abord, il faut se souvenir qu’il s’agit d’une crise née aux Etats-Unis, l’Europe n’en étant qu’une victime collatérale. Toutefois, même si la sortie de crise venait à se confirmer ailleurs dans le monde, l’Europe pourrait bien continuer à être handicapée par ses difficultés intrinsèques. Donc, il me semble que deux facteurs doivent être réunis pour que la situation évolue réellement : d’une part, une sortie de crise aux Etats-Unis et, d’autre part, la mise en œuvre de politiques permettant à l’Europe de surmonter ses difficultés propres, à commencer par l’évolution de sa démographie. Le vieillissement de nos pays doit ainsi être contrebalancé par des politiques démographiques volontaristes.

Autre sujet, corrélé à la démographie : l’innovation. L’immense majorité des produits que nous consommerons dans 10 ans n’existent pas aujourd’hui ; c’est pourquoi l’innovation est un facteur essentiel de retour à la croissance. La favoriser est un processus long, qui démarre au début de la vie de chaque citoyen. Car, au-delà des politiques publiques, il s’agit aussi de développer le goût du risque dans la population ou encore de faire mieux dialoguer des mondes qui ont encore trop tendance à s’ignorer, comme c’est le cas de l’université et de l’entreprise en France.

Pour favoriser l’innovation, je crois également beaucoup au retour de grands projets européens. C’est pourquoi le budget de l’Union, en cours de discussion en ce moment, est si important. Si tous les efforts sont concentrés sur l’agriculture, ce sera une nouvelle occasion perdue. D’autre part, l’Europe doit garder à l’esprit le rôle essentiel joué par la Darpa (Agence responsable des développements technologiques au service de l’armée américaine, NDLR) dans l’innovation aux Etats-Unis. Tant que n’existera pas une Darpa européenne, nous n’irons pas aussi loin que nous le souhaitons en matière d’innovation.

Les pays européens sont-ils bien armés dans cette course à l’innovation, course aujourd’hui mondiale ?

J.A. : D’abord, évitons tout complexe notamment vis-à-vis des Etats-Unis. La première région pour l’innovation dans le monde n’est pas la région de San Francisco (la Silicon Valley, NDLR), mais celle de Tokyo. Certes les Etats-Unis sont en avance dans des secteurs comme les biotechnologies ou le numérique. Certes encore la crise qu’ils traversent n’a pas freiné la créativité dont font preuve les entrepreneurs locaux. Malgré tout, les Etats-Unis ne sont pas dominateurs dans la robotique, l’énergie ou encore les nanotechnologies. Il n’y a pas de fatalité. Pour preuve, dans le numérique, secteur pourtant dominé par les Etats-Unis, un acteur comme SAP est parvenu à se développer en Europe. Il n’existe pas de secteur verrouillé à priori.

Je pense que les efforts européens devraient porter sur quelques secteurs qui me paraissent centraux pour l’avenir : la santé, l’éducation autour d’innovations comme le e-knowledge et le m-knowledge, la cybersécurité et les technologies de sécurité au sens large, ainsi que tout ce qui touche à l’ajout d’intelligence dans les objets et aux bâtiments intelligents. Je rappelle que la France possède sur son territoire le premier pôle d’expertise au monde en matière de nanotechnologies, dans la région de Grenoble.

Justement quel regard portez-vous sur l’innovation en France et sur les politiques publiques qui l’accompagnent ?

J.A. : Quand on regarde la situation française, on se retrouve confronté à plusieurs paradoxes. Ainsi, le pays compte dans sa population la plus forte proportion de développeurs au monde. Tout en ne possédant qu’un seul leader industriel dans le domaine du numérique, Dassault Systèmes. Cet exemple montre que l’innovation dépend aussi largement de l’environnement dans lequel baignent les entrepreneurs. En France, ce dernier souffre de quelques lacunes bien connues : les liens trop distendus entre université et secteur privé, l’insuffisance des passerelles entre recherche publique et recherche privée…

Plusieurs gouvernements successifs ont pourtant déjà pris des mesures censées favoriser l’innovation dans nos entreprises. Diriez-vous que ce sont autant d’échecs ?

J.A. : Non, car nous avons assisté à de réelles avancées, comme Oseo ou le Crédit Impôt Recherche. La réforme de l’enseignement supérieur, dite réforme LMD, va dans le bon sens, mais elle doit être menée à son terme. En revanche, il subsiste de réels points noirs. L’incroyable complexité de la recherche publique en est un. En France, de très nombreux guichets donnant accès à cette dernière coexistent ; ce qui rend la structure illisible. Là où les Etats-Unis, ont créé un guichet unique. La faiblesse des financements disponibles en est un autre, la frilosité des banques venant aggraver le manque de capitaux alloués au capital-risque et à la recherche privée. Cumulées, ces lacunes ont des effets sensibles sur notre compétitivité. Le nombre de produits nouveaux mis sur le marché par les industriels français est largement inférieur à celui de leurs concurrents allemands.

Nos dirigeants devraient tenter de reproduire les mécanismes qui fonctionnent ailleurs. Regardons ce qui se passe au Nord de l’Italie, une région qui compte un grand nombre de firmes leader sur leur segment de marché. Des firmes qui disposent de fonds propres élevés, du soutien de banques locales, qui baignent dans une culture de l’innovation et ont su tisser des liens étroits avec les universités de la région. Inspirons-nous de ces exemples pour rebondir. D’autant qu’il ne faut pas oublier que notre pays dispose d’une chance unique. Le français sera la seule langue à voir son nombre de locuteurs tripler en 30 ans. Il y a aujourd’hui 200 millions de francophones dans le monde. Ils seront 700 millions avant le milieu du siècle. Une opportunité économique historique pour nos entreprises.

 Que pensez-vous du Pacte de compétitivité récemment présenté par le gouvernement Ayrault ?

 J.A. : La mesure centrale vise à réduire les charges des entreprises. Ce qui est positif. Mais cette mesure suppose des économies majeures. Car les chiffres donnés par le gouvernement sont bâtis sur une hypothèse de croissance de 0,8 %, alors qu’en réalité la croissance sera très probablement limitée à 0,2 ou 0,3 % en 2013. Cela signifie qu’il faudra non pas faire des économies à la marge, mais agir sur la nature même du système public, le transformer en profondeur pour le rendre moins coûteux. Donc prendre des mesures difficiles, certaines pouvant d’ailleurs être soutenues par la technologie qui agit alors comme un facteur de réduction des coûts. Ce ne sera pas facile, car l’Europe reste un continent riche où les populations et les élites mettent du temps à prendre conscience des dangers qui les guettent.

Par ailleurs, le Pacte comporte à mon avis un angle mort : il n’aborde pas la question pourtant essentielle de la formation permanente. Chaque année, dans notre pays, 40 à 50 milliards d’euros sont dépensés dans la formation professionnelle, souvent n’importe comment ! Ce système doit être repensé de fond en comble, en attachant les droits à la formation à chaque individu.

 Pire, cette question n’est même pas abordée dans le cadre des négociations actuelles sur la flexibilité du travail, où les débats se focalisent quasi-exclusivement sur la question du coût du travail. Alors que la compétitivité du pays passe aussi par l’amélioration des compétences de ses habitants. Cette connivence des syndicats et du patronat pour ne pas remettre en question le pactole de la formation professionnelle, consommé aujourd’hui dans un système à l’efficacité douteuse, alors que l’université française reste fermée le soir ou pendant les vacances, est des plus délétère.

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